J’irai où tu iras

Option Auto n°269 (Août / Septembre 2024)

Je devrais être fou de joie mais je ne le suis pas. Me réjouir que les vacances approchent. Et que nous pouvons en prendre. Le synonyme, en sous-titré, que notre devoir est accompli : le traditionnel numéro août/septembre, aka spécial road trip, est enfin bouclé. Cet opus 269 arrive tel un point final après plusieurs mois de recherches, échanges, allers-retours, tractations, discussions voire négociations pour faire de cette vingt-cinquième promenade d’envergure (dingue, non ?!) un joli millésime. Dix-sept ans, à quelques semaines près, que nous avons inauguré cette tradition qui fait partie aujourd’hui, plus que jamais, de l’ADN d’Option. Déjà cinq voitures à l’époque, mais une seule nuit loin de la Capitale et 16 pages, telle était la carte d’identité de notre première escapade dans les Côtes-d’Armor à bord de cinq Audi Sport. Depuis, nous avons tout essayé : une Carlsson pour un Tour de France. Trois Jaguar dans le Vercors. Quatre BMW en Ille-et-Vilaine. Six Audi dans le Doubs. Carrément huit Mini dans la Creuse ! Idem pour les engins : monomarque ou mixés, toutes les combinaisons ont été tentées pour s’en tenir désormais à la même recette. Cinq modèles, cinq marques différentes. Et pour les 77 pages du cru 2024 une nouveauté de taille qui restera dans les annales, la participation de notre premier EV. Une révélation qui sonne comme une obligation mais prouve surtout, après dix jours de vie commune dans des circonstances proches de celles qui sont les vôtres au quotidien, qu’il n’y a dans la mutation aucune fatalité. La couverture ci-contre en atteste : les thermiques que nous chérissons cohabitent sans mal avec deux hybrides (la nouvelle 911 GTS et l’extraterrestre Tourbillon) et une électrique (la Ioniq 5 N). Trois pierres angulaires de l’histoire de leurs constructeurs respectifs qui délivrent toutes, que les passionnés de la première heure se rassurent, au moins 500 ch…

Si vous y regardez de plus près, cette Une n’est pas anodine. Pour moi en tout cas, elle est révélatrice d’une nouvelle ère : ce numéro ne comporte aucun essai de préparateur. Pas qu’il n’y en ait plus ou que nous n’en visiterons pas prochainement. Il devient simplement plus rare, pour ne pas dire rarissime, de trouver des engins assez légitimes, avancés et bien conçus pour que nous en pratiquions l’essai et vous le fassions savoir. Pourtant, si vous détaillez les sept modèles qui tiennent sur ces 667 cm2 de papier couché brillant sans bois noyés sous leur vernis UV recto (barbare, non ?), vous constaterez qu’ils sont tous personnalisés. Tous dignes de figurer au catalogue d’un sorcier d’antan, quel que soit son nom. Porsche Exclusive ferait ce que vous voulez pour vous séduire. BMW Motorsport dispose des Performance Parts pour satisfaire les extrémistes. Q, chez Aston Martin, confine au sur-mesure. Que Bugatti, par essence, personnifie mieux que quiconque.

Cette personnalisation, c’est la baseline d’Option Auto. Son mojo, son leitmotiv, l’incarnation de l’idée qui a poussé son créateur, Michel Guégan, à lancer le numéro 1 en octobre 1984. C’était alors, ô époque bénie du Port-Salut, écrit dessus en rouge et en majuscules ! Le magazine de la personnalisation est né voilà quasiment 40 ans de l’esprit fertile d’un génie de la presse dont nous pleurons, en « cœur », la récente disparition. Je ne prendrai la place de personne en me risquant à décrire la perte que représente le départ de Michel pour le milieu de la presse auto/moto : il y avait lancé trop de titres, trouvé trop de concepts, imaginé trop de dérivatifs pour ne pas, à un moment ou l’autre, impacter la carrière de la plupart des journalistes spécialisés respectables que compte notre sérail. Je me contenterai, fidèle à la règle qu’il m’avait un jour énoncée dans nos locaux de Rosny-sous-Bois, de vous dire que s’il n’avait pas téléphoné chez mes parents en juin 1995 pour me proposer un stage à la rédaction, je ne serais pas là. N’aurais pas rédigé mon tout premier essai -publié- d’une 806 Papmahl (qui a ri ?). Pas écrit pour le 3615 Option Auto (ça glousse ?!). Ne serais pas sorti diplômé du CFPJ. N’aurais pas bossé, dès 1997, sur le premier site web du magazine. N’en serais pas devenu rédac’ chef à 25 ans. Ne me serais pas retrouvé à sa barre en 2005 en ayant l’énorme plaisir de le lui faire parvenir depuis, tous les deux mois, et d’écouter ses critiques éclairées au hasard de nos trop rares entrevues. « Option est fidèle à ce que j’aurais aimé qu’il devienne » a été un cadeau qui a mué en fierté. Le moteur pour nous assurer de sa satisfaction à parcourir nos pages sans jamais oublier nos devoirs. Quand on perd sa paire de père et pair, on ne tient debout qu’en suivant le droit chemin que l’un et l’autre, à leur manière, ont contribué à paver sous nos pieds. En se souvenant d’où l’on vient sans oublier de regarder vers l’avenir. Même en filigrane, même sans volonté d’inculquer, je m’enorgueillis aujourd’hui d’avoir appris le meilleur des meilleurs et souhaite à quiconque de croiser un jour des hommes droits dans leurs principes et fidèles dans leur vérité. Je devrais être fou de joie mais je ne le suis pas. Envers et contre tout, je suis apaisé. Parce que je sais désormais que les bons qui partent ne sont jamais très loin.
Frédéric Lardenois
 

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