C’est grave, docteur ?

Option Auto n°274 (Juin / Juillet 2025)

« T’es un grand malade ». Voilà la phrase préférée d’un de mes proches amis qui semble l’avoir inventée pour moi puisque jusqu’à preuve du contraire, je suis le seul auquel il la sert. Je vous laisse deviner quel peut être le sens profond de l’idiome… Est-ce que j’engloutis un kilo de choucroute au petit déjeuner ? Je préfère le salé au sucré mais j’ai trop d’affection pour mes intestins -et de respect pour mes contemporains- pour m’y risquer. Est-ce que je me baigne tout nu dans la Seine en guise d’ablutions dominicales ? Je ne suis pas frileux mais quitte à se baquer, autant le faire at home et en milieu tempéré. Environnement motorisé aidant -le garçon ne rechignerait pas à rouler cheveux au vent s’il en avait encore deux ou trois autour de la tonsure- on pourrait supposer qu’il se laisse aller à se moquer de ma propension à ouvrir en grand sitôt la route libre, sauf qu’avec l’âge et les neurones perdus j’aspire à la sagesse aussi vais-je moins fort -pas moins vite, bizarrement…- aujourd’hui qu’au siècle dernier (le moustique m’en sait gré). Son effarement doublé, la plupart du temps, d’une évidente consternation tient au sujet autour duquel nous nous rassemblons religieusement tous les deux mois depuis plus de quarante ans. Trente, devrais-je dire par souci de précision, puisque début juillet, quand vous reprendrez cet opus 274 entre les mains pour le parcourir une énième fois -il y a de quoi faire plusieurs allers-retours- j’attaquerai ma quatrième décennie au service de cézigue. Et serai, avec mes compagnons de route, à quelques jours de boucler le daté août-septembre après en avoir enchaîné 208… Vous comprenez ainsi que la sempiternelle question tripartite soit tristement légitime, qu’elle soit posée par un rejeton du sérail ou les néophytes : t’en as pas marre ? T’es pas blasé ? Ton meilleur souvenir d’essai ? Le tiercé gagnant dans l’ordre : non, non et le prochain.

La raison est aussi limpide qu’à l’évidence troublante pour le quidam ! J’aime l’objet roulant. L’automobile comme la moto. Le truc qui se déplace presque tout seul, avec plus ou moins de classe, de savoir-faire et d’efficacité. Le concept me dépasse et tous les matins, avant même que j’aie pu en prendre les commandes, je m’emploie à essayer de le comprendre. Une boîte, des roues, un moteur, un style pas toujours heureux mais une même idée lumineuse synonyme de liberté. Voilà pourquoi nous n’avons jamais snobé le Diesel ni refusé l’électrique. Love is all around, la passion itou : peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. J’aurai mis mes fesses dans des mazoutées mémorables et des plombées pathétiques. Des aberrations électrifiées et autant d’alternatives peu inspirées… Je partageais avec mon père le goût pour la mécanique. La technique, l’outil, la machine : le génie de l’homme cherchant à se faciliter la vie me scie en deux. Et je jalouse la motivation de ceux qui cherchent à se la rendre encore plus belle. « T’es un grand malade », l’explication ? Je ne résiste pas à une belle histoire, même montée en épingle. Les voitures sont autant de chiots abandonnés auxquels il m’est impossible de ne pas donner de foyer.

Pourquoi m’étonner que mes enfants leur donnent des prénoms… Une sportive du siècle dernier qui prend la poussière dans un box ? Je craque. Une classique qui a fait le renom de son géniteur avant de tomber dans l’oubli ? Je signe. Le hic, c’est que les tentations, avec une vie passée à les découvrir sur papier glacé, les entendre battre le pavé et les essayer aux quatre coins du globe, j’en ai accumulé un chapelet. Mais qu’espace de stockage et budget sont moins extensibles que ma faculté à multiplier les madeleines -à défaut de petits pains. Si d’aucuns y voient de la passion, je me contente de constater que j’en veux toujours plus mais sais me satisfaire de peu. Je m’éclate autant en Twingo qu’en Ferrari. Pas groupie pour un sou, je les traite avec le même respect. Aborde une Škoda comme une Aston. Prends autant soin de ma Saab 900 que d’une Spectre. Vous connaissez la meilleure ? C’est pareil pour l’horlogerie. Les tatanes. Le jaja. La gastronomie… Je ne mange pas pour vivre, je vis pour manger ! Alors choisir son auto, sa montre et ses pompes dans la perspective de dénicher les meilleures routes pour se poser à table avec ceux que vous aimez, imaginez le tableau. Jouir, profiter, ressentir. à plusieurs, idéalement, une partie du bonheur découlant souvent du fait qu’il soit partagé. C’est le propos d’Option, hier, aujourd’hui et demain. Tournez les pages et comprenez. Goûtez, picorez, savourez à vous en gaver tant le plaisir reste un moteur digeste. Sur deux ou quatre roues, en France comme à l’étranger, nous n’avons pas arrêté. De chercher, ressentir, tester, tenter. Sur des 125 et des gros cubes, en citadines comme en sportives de grand luxe. Inutile de creuser le trou de la Sécu, l’auto-diagnostic est fidèle : je suis un grand malade. Et tiens à faire valoir mon droit à ne jamais être soigné.
Frédéric Lardenois
 

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