« Half » l’extraterrestre

Option Auto n°275 (Août / Septembre 2025)

Inutile de me dénoncer à la Ligue de défense des années 80. Je sais que le nom de la bestiole poilue à nez de tamanoir qui rêvait de becter son chat ne prend pas de H. Heureusement d’ailleurs, car si j’en avais eu une entre les mains ces dernières semaines (de hache, pour ceux que j’ai déjà perdu à la cinquième ligne), gageons qu’elle aurait servi pour faire tomber quelques têtes comme aux grandes heures de Guillotin. Plus que jamais le monde est coupé en deux. Vous voudrez bien tolérer que pour les besoins de la démonstration j’arrondisse éhontément, même si j’ai la conviction qu’à la manière d’une banquette rabattable, le déséquilibre tend vers deux tiers / un tiers : nous sommes entourés d’une moitié de glands et d’une moitié de bons. Pour clarifier, si le Titanic coulait demain et que j’étais à la manœuvre pour sortir les croisiéristes de la flotte, je sais que seuls 50 % des pataugeurs mériteraient leur gilet. C’est dur ? Peut-être. Méchant ? Admettons. Criminel ? Faut pas pousser. Je m’autorise d’ailleurs à regretter que si la nature nous permet de repérer les œufs pourris en les faisant couler au fond à l’immersion, elle aurait été bien inspirée de faire pareil avec les enclumes… Notez bien que je ne mets pas dans l’eau, je sélectionne ceux que j’en sors, c’est différent. Ça s’appelle le libre arbitre. Le choix. Ce qui, vous me l’accorderez, est totalement différent de la sélection naturelle laquelle, la majorité du temps, fait appel aux capacités physiques plutôt que cérébrales : le lion n’est a priori pas le roi pour son QI, sauf si s’entourer d’un lot de groupies assurant vos repas et la reproduction de votre lignée vous téléporte en tête de file pour le Nobel. « Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, c’est la seule chose qui différencie l’homme de l’animal. » Aussi j’estime que parmi nous, beaucoup ne servent à rien… Pire, « nous » emmerdent (vous comprendrez que par défaut je me sois placé du côté des moins nuls). Nous écartent du seul but que nous nous sommes fixé : être heureux. Ce qui, pour les plus pessimistes d’entre nous, consiste à ne pas être malheureux.

Pour ce faire, vous avez l’introspection, la philosophie, le désintérêt ou la sagesse. La dernière nécessitant un peu des trois premières pour oser briguer un brin de félicité. Quand -au mieux- il ne m’ennuie pas, l’homme m’énerve. Et ces temps derniers, ce ne sont pas tant ses actes, dont j’ai appris à tolérer le pathétisme, que son absence d’actes qui me rend dingue. Il y a ceux qui font et ceux qui, par leur incapacité à voter au travail une valeur spinale, ébranlent à force d’inaction ce qu’ils démolissent à force de revendication. Le billet d’humeur est le reflet d’un état d’esprit et depuis un moment, vous êtes nombreux à me l’avoir dit, je suis plus tempéré. Poli comme un galet roulé par le ressac : chahuté mais un peu plus rond chaque jour. Et pour cause, tel le silex sur son littoral, je m’adoucis en prenant de l’âge. Et j’avançais fièrement sur cette tendance en fabriquant le sacro-saint daté Août / Septembre, aka Spécial Road Trip -fruit d’efforts répétés et d’une sacrée dose énergie collégiale- que vous tenez enfin dans les mains. Usant, épuisant même, cet OA275 était dans les esprits dès le début de l’année, installé dans la to do list dès le printemps, occupant notre quotidien dès le mois de mai. Et n’en sortira que le 31 juillet à sa parution.

Pour que ce numéro vous plaise, soit dense, complet, abouti, irréprochable, la rédaction s’arrache. Y sacrifie ses week-ends. Se fend les yeux à trier des milliers de photos. Se casse les oreilles à écouter des heures de rushes pour que les videos à suivre en août séduisent les publics d’Instagram et YouTube. Mais seuls, nous ne pourrions pas grand chose aussi nous entourons-nous de faiseurs efficaces. En région, selon notre destination. Chez les constructeurs, dont les engins jouent les sherpas d’apparat. Parmi nos partenaires qui trouvent ici un tremplin pour leur prise de parole. Tous ensemble, nous irions plus vite et plus loin sans boulet(s) au pied. Vous donnerions encore meilleur si la galère n’était remplie de lourdauds infoutus de ramer. Je ne vois plus de salut vers un embryon de bonheur qu’une grande force d’auto-conviction m’aidant à faire fi des incapables. Qu’une tolérance sans borne pour les donneurs de leçons. Qu’une acceptation de ces ambitions déplacées dont je sais qu’elles sont les conséquences douloureuses d’une éducation laxiste et d’une démission générale. Si seuls les parents des millennials méritaient des baffes, la panacée serait proche. Plutôt qu’à laisser manifester pour le droit de manifester contre les antimanifestants, on ouvrirait des centres de claquage de baigne. Des centres de vaccination où des spécialistes remettraient les idées en place de ceux qui ne dédient les leurs qu’à emmerder leur prochain. Puissent les managers de demain choisir les trois B (bien, bon, beau) plutôt que leurs cinq C (c’est con mais c’est comme ça). Parce qu’half way to heaven, c’est aussi half way to hell. Profitons des vacances pour choisir la direction à prendre, tout demi-tour est exclu tant la pente est raide !
Frédéric Lardenois
 

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